Il y a des formes d’internationalisme qui sont les pires ennemis de l’internationalisme.


 Wasselonne .



















Les salariés de Translohr, de Caddie et de Stracel ne savent que faire, il n'y a guère de discours qui viennent à leur secours, Une partie de la gauche dite radicale pense que toute mesure prônant un retour à la souveraineté nationale dans les échanges marchands est propre à faire le lit  du fascisme. Et devant l'éclatement de l'Europe devant la crise initiée par la finance internationale, elle reste accrochée à des solutions qui sont de l'ordre de l'attente de l'alignement des astres grâce au brassage d'air.  De l'autre côté, le Front National ne présente pas de solutions, il se contente de son mantra nationaliste devant la statue de Jeanne d’Arc sans parler d'un changement dans les rapports sociaux. Quant aux politiques classiques des grands et petits paris, est-il utile d'en parler? C'est toute la misère d'une époque qui évite la question de la souveraineté populaire tout en faisant mine d'en parler. Frédéric Lordon nous livre ici un tableau édifiant sur la finance  et de l'éclatement de l'Europe :





« Cet éclatement serait-il voué à libérer des résurgences nationalistes ? C’est l’éternel argument des amis de l’Europe libérale et de la mondialisation réunies : l’état présent des choses ou bien la guerre… On pourrait commencer en leur faisant observer que l’état du continent tel qu’on l’a observé entre 1945 et 1985, et qu’un blind test leur ferait sans hésiter considérer comme l’enfer économique sur terre (protectionnisme, monnaies nationales, plan, souverainetés séparées, nationalisations, notamment des banques), a été des plus calmes sous le rapport des inquiétudes qu’ils feignent d’éprouver. Poursuivant dans cette pente, on pourrait également leur faire remarquer, par un argument a contrario, que les nationalismes, les séparatismes et les extrémismes de droite ne se sont jamais si bien portés que depuis que les pays ont été soumis à la férule de la mondialisation libérale. Ce que je veux dire par là est en fait fort simple : il y a des formes d’internationalisme qui sont les pires ennemis de l’internationalisme. Car il est bien certain que, sous couleur de grande intégration économique mondiale, malmener les corps sociaux comme l’aura fait la mondialisation présente, avec en prime le discours de « l’évidence » cosmopolite de la nouvelle oligarchie, naturellement doublé de son mépris moralisateur pour les « frileux » et les « repliés sur soi », est le plus sûr moyen de faire enrager les gens. Quand les salariats nationaux sont objectivement placés en situation d’antagonisme, par exemple par la férocité des formes variées de la concurrence (concurrence commerciale ou bien concurrence des territoires par les standards sociaux), il faut vraiment la candeur universaliste (pour ne pas dire la bêtise scolastique) des intellectuels pour aller leur faire la leçon sur le thème des horizons radieux du cosmopolitisme. Et il est inutile d’en appeler à leur sens des solidarités internationales quand les conditions institutionnelles concrètes de l’« internationalisme » présent ont méthodiquement détruit ces solidarités. Comme toutes choses, l’internationalisme et le dépassement des nationalismes ont leurs conditions de possibilité, et ce sont avant tout des conditions matérielles. À tout le moins votre question pose le problème dans ses termes pertinents : les termes de la constitution et de la composition (positive ou négative) des affects communs. Il y a des affects communs d’appartenance nationale – et à leur propos il vaut mieux se tenir à la leçon de Spinoza : ni déplorer ni détester, mais comprendre. Et il y a aussi de possibles affects communs de classe. C’est toujours la même question, celle des découpages, compartimentaux ou transversaux, selon lesquels se constituent les rassemblements. Quand ces derniers prévalent sur les premiers, ça peut en effet donner la première Internationale. Mais quelles sont les conditions de cette prévalence ? Je ne crois pas qu’il y ait de réponse générale à cette question. Parle seule la clinique affective de la conjoncture considérée. Si l’on envisage par exemple la question à l’échelle globale de la mondialisation, on pourrait dire que la dynamique ascendante du salariat chinois lui crée trop d’intérêt à la continuation d’un régime de croissance pour l’heure tirée par les exportations… et donc, plus largement, à un régime non coopératif du commerce international. Pour que l’affect commun transverse l’emporte sur les affects communs nationaux et que se fasse jour le sentiment d’une solidarité de classe qui puisse réunir les salariats de pays différents, il faut préalablement les sortir du rapport d’antagonisme objectivement configuré par les structures économiques présentes, tel qu’il les rive à leurs intérêts respectifs sans la moindre perspective de leur dépassement spontané. D’abord parce que les agents ne suivent jamais que leurs lignes d’intérêt et que leur demander de s’en écarter est un songe creux s’il ne leur est pas proposé des intérêts de substitution. Solidarité n’est que l’autre nom d’un alignement ou d’une compatibilité d’intérêts – où la notion élargie d’intérêt ne renvoie pas exclusivement à des intérêts matériels (mais les comprend assurément). J’aurais ainsi tendance à penser qu’un régime de protectionnisme modéré qui créerait pour l’économie chinoise les incitations à cheminer plus vite vers un régime de croissance autocentrée, tirée par la constitution d’un marché intérieur, ferait bien davantage et pour les salariés chinois et pour la possibilité de solidarités salariales internationales que tous les appels moralistes aux vertus de l’internationalisme abstrait. Car voilà le drame de cette idée « internationaliste » : je me demande si on ne peut pas en dire ce que Deleuze disait des Droits de l’Homme : c’est un gros concept (« gros comme une dent creuse » !). Son abstraction le voue à entrer dans la catégorie de ce que Spinoza nomme les « idées générales », un être d’imagination qui flotte en l’air sans aucun ancrage dans des situations historiques concrètes. Et de plus en plus, la discussion internationaliste séparée de ses cliniques affectives particulières m’apparaît comme un parfait non-sens. » [ Source ]

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