L'armée de réserve du capital et l'infanterie légère des commissaires politiques



Ballon de Servance .

















« Non non. Marx ne parle de l’immigration d’aucune façon. » nous dit Attali, c'est le credo reprit par des spécialistes de la lutte des classes. Nous allons essayer de reconsidérer l'affirmation attalienne encore une fois. J'ai déjà cité un texte où Marx explique quelques méthodes  pour diminuer les coûts de production  : «  remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l'homme par la femme, l'adulte par l'adolescent et l'enfant, un Yankee par trois Chinois. » Marx écrit que l'immigration dans certains cas fait pression sur les salaires. De nos jours, il existe toute une armée de petites mains pour nous expliquer qu'une telle chose ne peut advenir et qu'au contraire l'immigration ne peut être qu'un bienfait. Pour ce faire l'extrême gauche libérale s'en remet parfois à loi « éternelle » de l'offre et de la demande. Mais revenons à Marx et très policier monsieur d'Alsace Libertaire. Ce dernier me reproche de citer un texte où Marx parle de Chinois remplaçant trois Yankee,  car il n'y voit pas le mot « immigration ». Nous allons lui faire plaisir, voici l'extrait d'une lettre que Marx adressa à Kugelmann.

« Le citoyen Jung annonça que les menuisiers de Newcastle étaient en grève pour la journée de neuf heures et que les patrons avaient fait venir des ouvriers de Belgique et essayaient d'en recruter de nouveaux.
Il fut aussitôt décidé de se mettre en relation avec la Section belge en vue d'arrêter l'immigration d'ouvriers belge […] Le citoyen Cohn fit un rapport sur le lock‑out des cigariers belges. Les cigariers de Londres avaient envoyé quelques délégués en Belgique qui y séjournèrent quinze jours et étudièrent de près la situation. Les patrons avaient recruté 30 ouvriers en Hollande, mais ces derniers furent renvoyés les uns après les autres. Ils avaient également embauché vingt‑cinq jeunes filles de Metz et de Strasbourg, mais seize d'entre elles partirent également, de sorte qu'au bout de sept semaines, les patrons avaient seulement neuf ouvriers. Aucun des ouvriers lock‑outés n'avait demandé à reprendre le travail et les patrons étaient bel et bien battus. Au début du mouvement, les patrons avaient absolument refusé de reconnaître l'organisation syndicale, maintenant ils étaient prêts à la reconnaître et à augmenter les salaires, et à fournir des découpeuses de tabac. Il restait encore un ou deux points à régler, mais il ne faisait aucun doute que les ouvriers obtiendraient tout ce qu'ils réclamaient, car ils étaient soutenus. Les cigariers de Hambourg avaient chaudement épousé leur cause et avaient procuré du travail à trente des lock‑outés. »


Bien sûr, vous allez penser que je prends des exemples extrêmes, mais il ne fallait pas chanter la chanson du « Non non. Marx ne parle de l’immigration d’aucune façon. ». Voilà une chose de faite. Ensuite, il est évident qu'il faut prendre les écrits de Marx dans le contexte de l'époque. Je ne vous cache pas que pour moi, une grande partie du monde de Marx est encore vivante de nos jours. Il est vrai aussi que l'immigration n'est pas le thème central du Capital. Mais l'Europe d'alors n'est pas en reste en ce qui concerne les flux migratoires. Malgré l'idéologie du libre échange qui dominait l'Angleterre victorienne , certaines voix se levèrent pour fixé la main d'œuvre qui ne demandait qu'à émigrer : « M. Potter nous annonce que l'industrie ressuscitera de plus belle dans un, deux ou trois ans, et réclame que nous n'allions pas encourager ou permettre l'émigration de la force de travail ! Il est naturel, dit il, que les ouvriers désirent émigrer, mais il pense que la nation doit enfermer malgré eux dans les districts cotonniers ce demi million de travailleurs, avec les sept cent mille qui leur sont attachés, et qu'elle doit en outre, par une conséquence nécessaire, refouler par la force leur mécontentement et les entretenir au moyen d'aumônes, et tout cela pour que les maîtres fabricants les trouvent tout prêts au moment où ils en auront besoin... Le temps est venu, où la grande opinion publique de cette île doit enfin faire quelque chose pour protéger cette force de travail contre ceux qui veulent la traiter comme ils traitent le charbon, le coton et le fer. » (« To save this working power from those who would deal with It as they deal with iron, coal and cotton [19]. »)

Voilà donc que les ouvriers sans travail veulent émigrer, et qui dit émigration parle forcément d'immigration, On remarquera que Marx évoque à plusieurs reprises les flux migratoires, mais « Non non. Marx ne parle de l’immigration d’aucune façon. » nous dit Attali et d'autres à sa suite. Maintenant, il me faut parler de l'armée de réserve du capital. Car sur ce point, il est vrai qu'il ne faut pas confondre immigration et armée de réserve du capital. Le terme d'armée de réserve du capital désigne chez Marx les personnes qui ne sont pas employés, qui n'ont pas de travail, les chômeurs. Or il est évident que tout les immigrés ne sont pas des chômeurs, ces deux catégories ne sont  pas identiques. Le monsieur d'Alsace libertaire me fait un procès d'intention en me prêtant exactement les mêmes idées que celles d'Alain de Benoist pour qui « La France connaît donc aujourd’hui une immigration de peuplement, conséquence directe du regroupement familial. Mais les immigrés constituent plus que jamais l’armée de réserve du capital. » Il agit de la même manière que le policier qui introduit de fausses pièces à conviction sur le lieu du crime afin de bâcler l'enquête. En toute logique, si l'on pense que l'immigration est un facteur d'augmentation ou d'entretien du chômage en France, Alain de Benoit aurait du écrire que l'immigration entretient l'armée de réserve du capital en France, il existera enfin quelque chose de correctement entretenu en France. J'ai Le Capital de Marx en double exemplaire, et sur cette question je n'ai ni besoin d'Alain de Benoist ni de certains marxologues de l'éducation nationale et encore moins des commissaires politiques d'Alsace Libertaire. Pour me répéter, l'armée de réserve du capital désigne les chômeurs chez Marx. Mais il n'est pas exclu qu'il existe des chômeurs parmi la population immigrée. Et si j'en crois certains chiffres, le pourcentage de la population immigrée au chômage est nettement supérieure à celle des nationaux. C'est pour ce genre de détail que je reste un peu dubitatif sur les bienfaits de l'immigration dans un monde soumis au diktat de la bourgeoisie. L'immigration ou l'émigration peut être consécutive au gonflement de l'armée de réserve du capital dans un pays ou un autre. Par exemple, pour la dernière vague d'immigration qui a ému les médias, c'est à dire l'immigration tunisienne qui suivit la chute de Ben Ali, on ne peut pas dire que la Tunisie vivait une situation de plein emploi. Il se trouve que population diplômée dans ce pays est inemployée à plus d'un tiers, ce qui donne une idée du malaise. Là encore, on pourra m'objecter qu'une émigration suite à une révolution ne tient pas uniquement qu'à  l'armée de réserve du capital en place dans le pays, les réfugiés politiques existent aussi. Donc pour Marx l'armée de réserve du capital émigre à certains moments, ce qui amène Monsieur Zemmour et Alain de Benoist à des raccourcis hâtifs. Ces derniers n'ont pas suivi les cours de matérialisme historique prodigués par des marxologues reconnus de l'éducation nationale, zut alors !


Quant Marx analyse l'armée de réserve du capital il prend bien soins de décrire des tendances générales : « En dehors des grands changements périodiques qui, dès que le cycle industriel passe d'une de ses phases à l'autre, surviennent dans l'aspect général de la surpopulation relative, celle-ci présente toujours des nuances variées à l'infini. »  Précaution qui ne semble pas inutile quand il s'agit de traité un processus historique . Pour le dire, il est possible que les catégories de l'armée de réserve du capital  décrites par Marx ne soient pas éternelles.

Si l'on doit parler des travailleurs migrants en utilisant le vocabulaire de Marx, il serait plus judicieux d'utiliser l'expression d'infanterie légère du capital, même si cette expression ne recouvre la luxuriante réalité du marché du travail actuel : « Les nomades du prolétariat se recrutent dans les campagnes, mais leurs occupations sont en grande partie industrielles. C'est l'infanterie légère du capital, jetée suivant les besoins du moment, tantôt sur un point du pays, tantôt sur un autre. » Sur le marché universel , nous avons quelques exemples actuels qui se rapprocher de cette définition, il faut regarder en Chine.  Non seulement le prolétariat chinois se déplace à l'intérieur de la Chine, mieux encore il est appelé à se déplacer jusqu'en Algérie où règne un chômage de presque un tiers de la population active.

Pour finir Marx nous livre le secret de fabrication de l'armée de réserve du capital : « En produisant l'accumulation du capital, et à mesure qu'elle y réussit, la classe salariée produit donc elle-même les instruments de sa mise en retraite ou de sa métamorphose en surpopulation relative. Voilà la loi de population qui distingue l'époque capitaliste et correspond à son mode de production particulier. En effet, chacun des modes historiques de la production sociale a aussi sa loi de population propre, loi qui ne s'applique qu'à lui, qui passe avec lui et n'a par conséquent qu'une valeur historique. Une loi de population abstraite et immuable n'existe que pour la plante et l'animal, et encore seulement tant qu'ils ne subissent pas l'influence de l'homme.  » On pourrait rajouter que les immigrés font partie de la classe salariée. Ainsi on peut être amener à penser que la résolution de la question sociale ne passera pas forcément pas des immigration pride : « En attendant, le prolétariat hexagonal ayant failli à la mission que Marx lui avait assignée, on pourra toujours réimporter le tiers-mondisme à domicile en misant par exemple, comme le préconise Badiou, sur les travailleurs africain immigrés, avec ou sans papiers, pour qu’ils se laissent convertir par leurs nouveaux bergers marxistes. Comme si le slogan « une seule solution, la révolution », qui avait autrefois retenti aussi dans leurs pays d’origine, n’avait pas été remplacé depuis belle lurette dans leurs esprits par un autre, plus implicite mais aussi plus effectif : « Un seule solution, l’émigration ». Non pour y poursuivre en exil la lutte anticapitaliste et anti-impérialiste, mais pour survivre tant bien que mal, avec pour horizon l’accès au paradis consumériste. [ Source ]  »



En résumé , je n'en suis qu'au début du volumineux dossier que nous prépare le commissaire politique d'Alsace Libertaire. Et dès le début il dérape dans la cacheroute attalienne, et depuis il patauge dedans en essayant de ramper.

Commentaires

Unknown a dit…
Je pense que tu confonds immigrés et Français issu de l'immigration !!!
Ils suffit de se rendre sur un chantiers pour se rendre compte que la majorité des travailleurs viennent des pays de l'est, du Portugal et plus rarement d’Afrique, et ne sont en aucun cas des Français issu de l'immigration ( qu'ils soient d'origine Portugaise ou d'Afrique d’ailleurs)
Le platane a dit…
Olivier, je suppose que tu veux parler du taux de chômage des travailleurs immigrés qui est supérieur à celui des non immigrés. Pour une telle affirmation, je me suis basé sur les chiffes de l'INSEE. L' INSEE fait la différence entre les travailleurs issus de l'UE et hors UE. Le taux de chômage de l'ensemble des immigrés est nettement supérieur à celui des non immigrés tandis que le taux de chômage des immigrés issus de l'UE, suivant les données existantes, est sensiblement le même que celui des non immigrés. Voir le document :

http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon03346





Je n'ai pas fait la distinction immigrés UE et hors UE car cela n'était pas vraiment le sujet précis de la discussion sur le moment. J'espère avoir compris le sens de ta remarque, dans le cas contraire merci d'être plus précis.
Le platane a dit…
Pour continuer sur les connaissances supérieures d'Attali sur Marx : http://lesarbresdestrasbourg.blogspot.fr/2012/12/parlons-serieusement.html

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