Mais c'est quoi ce salaire à vie

 Je lis régulièrement les articles de Frédéric Lordon qui défend la notion de salaire à vie, j'avoue que personnellement j'ai toujours ressenti une certaine aversion pour ce type de projet dans le sens où je suis peut-être encore bien infecté par la morale petite bourgeoise. Par un raisonnement grossier il m’arrive de penser que le monde n'est pas rendu plus beau l'augmentation des bénéficiaires du RSA qui ont pourtant pour certains un niveau de confort matériel supérieur à celui honnête commerçant de 1900. J'ai vraiment du mal à comprendre le raisonnement qui fait l'obtention d'un salaire à vie un but en soi. Bien sûr que cette question est à creuser mais j'ai bien peur que l'on creuse purement dans l'imaginaire. Je dois beaucoup à Frédéric Lordon et je salue son travail de recherche et la sophistication de ses analyses. 

Mais car il y un mais, je me rend compte qu'à des moments je reste un peu circonspect, ce fût le cas avec un débat entre Lordon et Piketty cette année un peut avant le confinement. La nature du débat portait sur la propriété privée, Lordon jouait la carte d'une sorte de communisme intégral tandis que Piketty défendait l'idée d'une propriété privée limitée. Tous les deux avançaient des exemples assez limités pour étayer des thèses portant sur l'avenir, pour Piketty ce fût la possession d'un cheval pour le paysan russe sous le régime bolchevique et Lordon répliqua avec l'exemple d'un fur à pain qui fonctionne en propriété commune quelque part dans la banlieue de Paris. Ce sont là des exemples pittoresques et sur le coup il ne m'ont pas parlé dans la pratique actuelle, je pense à une société qui fonctionne à l’énergie nucléaire, une centrale atomique c'est autre chose qu'un four à pain, certes l'exemple du four à pain est tout théorique et pratique aussi, mais dans le cadre où la division du travail tend à s'étendre impliquant une perte de maîtrise de l'individu dans la production de son monde, on peut considérer que le four à pain en propriété commune  constitue une message pour les générations futures, mais hormis la portée publicitaire de la chose il reste des traces des expériences passées. Entre le cheval du koulak et le four à pain il m'était revenu en mémoire un passage de Ma Vie de Léon Trotski:


"De l'Oural, je revins avec une provision considérable d'observations économiques qui, toutes, pouvaient se résumer dans une seule conclusion générale: il fallait renoncer au communisme de guerre. Par la pratique, j'avais vu clairement que les méthodes du communisme de guerre, qui nous avaient été imposées par toutes les circonstances de la guerre civile, s'étaient épuisées d'elles-mêmes et que, pour le relèvement de l'économie, il était indispensable de réintroduire, à tout prix, l'élément de l'intérêt individuel, c'est-à-dire de rétablir à tel ou tel degré le marché intérieur. Je présentai au comité central un projet d'après lequel on devait substituer à la répartition forcée du ravitaillement, un impôt sur les céréales et la faculté des échanges commerciaux

... «La politique actuelle de réquisition égalisatrice d'après les normes d'approvisionnement, de responsabilité mutuelle à la livraison et de répartition égalisatrice des produits de l'industrie mène à une réduction de l'agriculture, à une pulvérisation du prolétariat industriel et menace de briser définitivement la vie économique du pays.»

C'est ainsi que je parlais dans la déclaration que je donnai, en février 1920 au comité central."

 

Nous sommes un peu loin du salaire à vie préconisé par Lordon mais on s'en approche par la bande. Bien sûr j'engage tout le monde à s'intéresser à Bernard Friot puisque que c'est de lui dont parle Lordon. C'est encore une autre paire de manche, la fenêtre de réforme est étroite en ce moment, c'est le moins que l'on puisse dire.

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