Sur la réalisation des erreurs du marxisme

 Mülheim an der Donau


















Cet été, le philosophe Michel Onfray consacre plusieurs cours sur le marxisme, l'héritage de mai 1968 et la gauche réputée radicale. Parmi ces cours, certains sont consacrés au pape du situationnisme : Guy Debord. J'ai écouté son cours sur le livre majeur de Guy Debord : la Société du Spectacle. Je ne vais pas faire la recension de tout ce qui m'a fait tiquer. J'irais même plus loin, je dirais que l'écoute de l'émission ne pas été désagréable dans la mesure j'ai replongé dans l'atmosphère du livre. Mais n'ayant pas le temps de tout revérifier, je n'ai retenu qu'un seul grief sur l'interprétation du fameux « grand livre libertaire du XX siècle». Il y en a peut-être d'autres, mais celle que j'ai entendu m'a semblé d'emblée problématique. Michel Onfray attribue à Debord une critique de Marx à 37'40" du début de l'émission. Il nous dit que Lénine réalise les erreurs de Marx et du marxisme, et il présente ce jugement comme la pensée de Debord. Je n'ai pas souvenir de la formulation précise de Debord sur ce chapitre. Onfray ajoute que Debord reprendrait en quelques sorte la critique de Bakounine envers Marx. Je vais nuancer le propos, car Lénine fut un disciple infidèle de Marx. Pour cela je me bornerais à citer Pannekoek dans son livre Lénine Philosophe [ 1938 ] :


« Selon une opinion très répandue, le parti bolchevique était marxiste, et c'est seulement pour des raisons pratiques que Lénine, ce grand savant et leader marxiste, donna à la révolution russe une orientation qui ne correspondait guère à ce que les ouvriers d'Occident appelaient le communisme - prouvant de la sorte son réalisme, sa lucidité de marxiste. Face à la politique de la Russie et du Parti communiste, un courant critique s'efforce bien d'opposer le despotisme propre à l'Etat russe actuel - dit stalinisme - aux  « vrais » principes marxistes de Lénine et du vieux bolchevisme. Mais c'est à tort. (Non seulement parce que Lénine fut le premier à appliquer cette politique, mais aussi parce que son prétendu marxisme était tout bonnement une légende. Lénine a toujours ignoré en effet ce qu'est le marxisme réel. Rien de plus compréhensible. Il ne connaissait du capitalisme que sa forme coloniale : il ne concevait la révolution sociale que comme la liquidation de la grande propriété foncière et du despotisme tsariste. On ne peut reprocher au bolchevisme russe d'avoir abandonné le marxisme, pour la simple raison que Lénine n'a jamais été marxiste. Chaque page de l'ouvrage philosophique de Lénine est là pour le prouver. Et le marxisme lui-même, quand il dit que les idées théoriques sont déterminées par les nécessités et les rapports sociaux, explique du même coup pourquoi il ne pouvait pas en être autrement. Mais le marxisme met également en lumière les raisons pour lesquelles cette légende devait forcément apparaître : une révolution bourgeoise exige le soutien de la classe ouvrière et de la paysannerie. II lui faut donc créer des illusions, se présenter comme une révolution de type différent plus large plus universel. En l'occurrence, c'était l'illusion consistant à voir dans la révolution russe la première étape de la révolution mondiale, appelée à libérer du capitalisme le prolétariat dans son ensemble; son expression théorique fut la légende du marxisme.»


Et dans autre registre, on pourra se référer à l'ouvrage De Marx et du marxisme de Kostas Papaïoannou. Ce dernier nous montre ce que doit Lénine à Bakounine plus qu'à Marx dans sa conception de l'élite révolutionnaire. Sachant que Debord devait connaître ces deux auteurs, je suis assez étonné sur la forme que prend le thème de Lénine réalisant les erreurs du marxisme chez Onfray. Qu'il fasse de Debord le tenant de cette thèse demanderait des éclaircissements.  En tous les cas, l'affirmation que Lénine réalise les erreurs du marxisme est une thèse que l'on peut fortement atténuer.